Insolite : j’ai conduit un poids lourd !
La palpitante (!) vie de journaliste auto est parfois jalonnée de surprises. Comme ce frais matin de mars dernier, où je reçois un mail m’invitant à réaliser un rêve de gosse : prendre les commandes d’un poids lourd, en l’occurrence le nouveau Volvo FH ! J’ai évidemment sauté sur cette trop belle occasion de découvrir des sensations de conduite inédites. Au final, je n’ai pas été déçu du voyage… et j’ai fait connaissance avec un monde que nous autres automobilistes côtoyons sans jamais vraiment le comprendre. Récit d’une expérience à part.
« On pensait commencer par la conférence de presse et la théorie, mais finalement on s’est dit qu’il était plus sympa d’attaquer directement les travaux pratiques. » L’accueil est charmant, mais à peine arrivé sur le lieu de la présentation, me voilà déjà au pied du mur… ou plutôt en bas du marchepied d’un beau bébé : le nouveau Volvo FH, plus de 3,40 mètres de haut et 2,49 mètres de large. Derrière son énorme calandre, des 6 cylindres turbo diesel de 13 ou 16 litres, développant de 420 à… 750 chevaux. Mais le chiffre le plus impressionnant reste celui du couple, cette force obscure qui permet d’arracher au démarrage 44 tonnes de marchandises : celui-là peut atteindre 3 550 newtons-mètre, soit l’équivalent de… 16 Renault Clio diesel !
Mais d’abord, replaçons les choses dans le contexte. L’industrie du poids lourd (plus de 3,5 tonnes) en France, c’est 420 000 salariés, 500 000 véhicules et une importance énorme dans le transport de marchandises. Selon les chiffres de la Fédération du Transport Routier (FNTR), 88% des marchandises sont acheminées par la route, ce qui représente 89 kilos par habitant et par jour ! Malgré tout, c’est une industrie fragile, où les sociétés de transport françaises sont concurrencées par des rivaux des pays de l’Est, aux coûts salariaux inférieurs. La crise se ressent au niveau des volumes de ventes en baisse. En Europe, Volvo a tout de même vendu 84 000 camions en 2012, s’octroyant la troisième place derrière Mercedes et Man, à égalité avec DAF.
La gamme Volvo se compose de cinq modèles adaptés à différentes missions : les FE et FL sont dédiés à la livraison en ville, le FMX à la construction, le FM au transport régional, et enfin le FH au transport sur longues distances. C’est ce dernier qui nous intéresse aujourd’hui. Il s’agit donc du vaisseau amiral de la marque, en plus d’être son best-seller. Autant dire que le lancement de cette nouvelle série est un événement d’importance !
Voilà pour la théorie. Pour la pratique, je décide de commencer fort, en montant à bord d’un Volvo FH de 540 chevaux attelé à une « grumière », c’est à dire une remorque chargée de grumes, des troncs d’arbres abattus. L’ensemble est impressionnant et éveillera quelques souvenirs chez les fans du film Destination Finale 2… (NDLR : âmes sensibles, ne cliquez pas sur cette vidéo !)
Destination Finale 2 Carambolage par greenday41
Ces images me viennent à l’esprit alors que je m’installe aux commandes d’un ensemble long d’une quinzaine de mètres et qui doit gentiment tutoyer les 50 tonnes, sans la moindre expérience préalable de la conduite d’un poids lourd. Heureusement, Volvo a bien fait les choses : nous sommes sur le circuit de l’APTH, près du Creusot, et de sympathiques instructeurs nous accompagnent pour guider nos (premiers) pas.
Première impression : l’atmosphère à bord de la cabine est à la fois dépaysante et familière. Bien évidemment, le fait de se retrouver en haut d’un tel perchoir a de quoi dérouter, tout comme l’immense espace à bord. Mais la planche de bord adopte une ergonomie proche de celle d’une voiture, et Volvo a poussé le mimétisme jusqu’à reprendre la typographie et les détails esthétiques inspiré des voitures particulières de la marque (rappelons tout de même que Volvo Cars, désormais propriété du chinois Geely, n’a plus rien en commun avec Volvo Trucks).
Le volant possède une énorme amplitude de réglage, et je trouve très rapidement une bonne position de conduite. Devant moi, l’instrumentation est réduite à l’essentiel : un compteur gradué jusqu’à 120 km/h (valeur très théorique puisque les poids lourds sont limités à 90 km/h), un compte-tours dont la zone rouge débute à 2 300 tr/min (!), une jauge pour le carburant, une autre pour l’AdBlue (l’additif nécessaire pour le traitement des oxydes d’azote à l’échappement) et un thermomètre d’eau.
La console centrale (orientée vers le chauffeur, comme sur une BMW !) est plus chargée, et je me garde bien de trifouiller les boutons au hasard de peur de déclencher une catastrophe. Heureusement, la boîte robotisée est là pour me faciliter le travail (y il a tout de même 12 vitesses à gérer !) et j’ai même un frein de parking électrique. C’est déjà ça de gagné ! Je me mets en « Drive », desserre le frein, et appuie timidement sur l’accélérateur…
L’engin hoquette et avance par à-coups. Mon instructeur se moque de moi et m’incite à écraser plus fermement la pédale d’accélérateur ! Je m’exécute aussitôt et m’aperçois qu’en réalité, la pédale est d’une grande progressivité : il faut appuyer franchement pour ne pas faire hésiter l’embrayage automatique. Une fois ces premiers mètres un peu hésitants, je trouve assez rapidement mes marques. La direction est douce et précise, avec un rappel bien dosé facilitant les manœuvres. Le gabarit de l’ensemble réclame évidemment un temps d’adaptation : il faut tourner le plus tardivement possible afin d’éviter de mordre le bas-côté avec la remorque. Rien de bien sorcier si l’on prend le temps de jeter un œil dans ses rétros.
Très vite, mon instructeur m’apprend à anticiper, car on ne conduit pas un 44 tonnes comme une voiture : l’inertie viendra nous jouer des tours si jamais on n’y prête pas attention. Mais il est également possible de s’en faire une alliée… c’est même le but d’un bon chauffeur. En portant son regard loin, on anticipe les ralentissements, ce qui évite de trop solliciter les freins. De la même manière, l’anticipation permet d’éviter de devoir relancer la machine, une opération très énergivore qui vous fera dépasser les 200 litres aux cent en consommation instantanée ! La prochaine fois, pensez-y avant de faire une queue de poisson à un semi-remorque ! 😉
On apprend du coup à utiliser le comodo déclenchant le frein moteur, qui permet de ralentir le camion sans « cramer » les freins à disques. Le système, réglable sur plusieurs crans (désactivé, automatique ou manuel de 1 à 3), est d’une redoutable efficacité et permet d’éviter de se faire « embarquer » dans une descente. Au fil des tours de circuit, je finis par prendre de l’assurance et m’amuse à gérer l’engin « comme un pro » en utilisant à fond le frein moteur (si bien qu’au final, la pédale de frein ne me sert qu’à stopper le camion sur les derniers mètres), ou au contraire la fonction roue libre, qui permet d’accumuler de la vitesse avant une côte. Je m’habitue également aux incessants changements de vitesse dus à la très étroite plage d’utilisation du moteur : la boîte s’échine à le maintenir entre 1 000 et 1 500 tr/min, zone où sa consommation est la plus faible. Malgré ces précautions, un semi-remorque à pleine charge engloutira tout de même 25 litres aux cent !
Tout au long de cette matinée d’essais, je n’aurai de cesse de passer d’un camion à l’autre, affinant au passage ma technique de conduite. Si bien qu’après une heure au volant de ces engins, je me sentais presque suffisamment à l’aise pour tenter l’aventure sur la route ! Autant dire que la facilité de prise en main est tout simplement déconcertante. C’est l’enseignement principal que je tirerai de cette journée, avec le fait que l’anticipation tient une place primordiale dans la conduite d’un poids lourd, tant pour la sécurité que pour la sobriété. Un style de conduite que nous autres automobilistes nommons… éco-conduite !
Envie de vous reconvertir ? Commencez par passer le permis C (au moins 2 000 €), puis économisez pour vous offrir un de ces beaux engins, qui coûtent entre 90 000 et 130 000 € hors taxes suivant les moteurs et équipements. Ajoutez-y le coût d’une remorque, et vous pourrez partir à l’assaut des routes européennes, fier comme Artaban aux commandes de votre beau camion !
Edit : en bonus, la vidéo de mon interview à la suite de cette expérience peu commune (merci à Dominique Forêt de Volvo Trucks !)
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