Cinéma : Le Mans 66, Hollywood en dérapage contrôlé
Vexé d’avoir été pris de haut par Enzo Ferrari dont il voulait racheter l’entreprise, Henry Ford II décida d’aller le battre sur son terrain favori : les 24 Heures du Mans. C’est cette aventure que le réalisateur James Mangold raconte dans « Le Mans 66 », en salles ce mercredi. Non sans prendre quelques libertés avec l’Histoire.
Au début des années 60, la toute-puissante Ford Motor Company traîne l’image d’une entreprise vieillissante. Le succès des Model T et Ford V8 est bien loin, et la jeunesse émergeant du Baby Boom regarde ailleurs. Un homme a bien cerné le problème : il s’appelle Lee Iaccoca, et est un petit génie du marketing. Son œuvre majeure chez Ford sera le lancement de la Mustang. Mais c’est également lui qui suggèrera à Henry Ford II (le petit-fils du fondateur) d’engager la marque en compétition. À l’époque, on avait l’habitude de dire : « Win on sunday, sell on monday » (« on gagne une course le dimanche, on vend plus de voitures le lundi »).
À l’état-major de la « FMC », quelqu’un suggère d’approcher Enzo Ferrari, alors en difficultés financières. Passionné par la course, l’ombrageux Piémontais ne s’embarrasse guère de soucis de comptabilité. Il accueille une délégation de Ford pour entamer des tractations qui durent, durent… et finissent par ne pas aboutir, Ferrari désirant garder la mainmise sur les activités en compétition, chose que le géant américain refuse. Vexé, Henry Ford II décidera alors de se venger. À l’époque, les Ferrari sont imbattables aux 24 Heures du Mans : que ce soit aux mains de la Scuderia ou d’écuries privées, les bolides au Cheval Cabré ont remporté toutes les éditions des 24 Heures de 1958 à 1965… sauf une, en 1959, qu’Aston Martin a réussi à grappiller, notamment grâce à un pilote talentueux : le texan Carroll Shelby. Ford approche ce dernier pour lui proposer de diriger la campagne qui doit permettre à l’Ovale Bleu de terrasser le Cheval Cabré sur son terrain de jeu favori. La suite, on la connaît : la Ford GT40 s’imposera au Mans quatre années d’affilée (1966, 1967, 1968, 1969), mettant un terme définitif à la domination de Ferrari sur cette course.
Cette histoire est véritablement une histoire de cinéma, et il est étonnant que Hollywood ne se soit pas penché dessus plus tôt. C’est désormais chose faite : le réalisateur James Mangold, connu pour les films Copland, Identity ou encore Walk the line, s’y est attelé, et le résultat, tout simplement intitulé Le Mans 66 (Ford v Ferrari en V.O.) sort en salles ce mercredi, avec à l’affiche Matt Damon et Christian Bale. Mais, plus qu’à la grande histoire de la rivalité entre Ford et Ferrari, c’est plutôt à la petite histoire d’amitié entre deux pilotes que Mangold s’est intéressé : Carroll Shelby, incarné par Matt Damon, et Ken Miles, joué par Christian Bale.
Miles, c’est un peu l’homme oublié de la victoire de 1966. Pour cette édition, pas moins de 13 (!) Ford GT40 s’alignent au départ, dont trois officielles engagées par Shelby American. Au bout de deux tours d’horloge, trois d’entre elles sont en tête, les deux premières étant dans le même tour : aux avant-postes, la numéro 1 de Ken Miles et Denny Hulme ; à quelques secondes derrière, la numéro 2 de Bruce McLaren et Chris Amon. L’état-major de Ford veut un finish triomphal, avec les trois voitures qui franchissent la ligne d’arrivée en même temps. Ken Miles, réticent, finit par accepter de lever le pied et les trois voitures passent ensemble sous le drapeau à damier. Mais le règlement est formel : il ne peut y avoir égalité pour la première place, la victoire allant à la la voiture ayant parcouru la plus longue distance depuis le départ. La GT40 numéro 2 de McLaren et Amon s’étant élancée de 20 mètres plus loin que la numéro 1 24 heures plus tôt, c’est elle qui décroche la victoire historique ! Miles et Hulme devront se contenter de la deuxième place.
Le Mans 66, c’est donc avant tout l’histoire d’une amitié tumultueuse entre deux pilotes aux destins contrariés. Le roublard Carroll Shelby, obligé de renoncer à la course automobile pour raisons médicales, se reconvertit dans la vente de voitures de sport, domaine dans lequel il se révèle particulièrement doué. L’impétueux Ken Miles, au caractère imprévisible, tire le diable par la queue dans son modeste garage en Californie, tout en déployant ses incontestables talents de pilote et de metteur au point dans les courses organisées par le SCCA (Sport Cars Club of America). Shelby courtise Miles afin de le convaincre de l’aider à développer une voiture qui puisse gagner au Mans, au grand dam de Ford qui craint les débordements de cet homme au tempérament imprévisible.
Matt Damon joue, comme souvent, la sobriété, même s’il force un peu le côté texan : l’homme étant natif de la Nouvelle-Angleterre, ça sonne forcément un peu faux. Moins cependant que Christian Bale, qui surjoue le côté britannique de son personnage, peu aidé il est vrai par des dialogues pas toujours très inventifs et truffés de « bloody » histoire de faire plus anglais que la reine d’Angleterre.
Bien qu’ils aient été entièrement recréés aux États-Unis, à part pour une brève scène située dans le centre-ville du Mans, les décors sonnent particulièrement justes. La sonorité des voitures, aussi : c’est une véritable orgie de V8 ! Pour autant, le réalisme n’est pas vraiment au rendez-vous. On est loin de l’épure d’un Le Mans avec Steve McQueen, et plus proche d’un Fast and Furious. On a envie de sourire lorsque les pilotes écrasent l’accélérateur en plein milieu des Hunaudières pour doubler un rival qu’ils prennent le temps de toiser du regard : quiconque s’intéresse un minimum aux 24 Heures du Mans sait que la fameuse ligne droite se négocie gaz à fond d’un bout à l’autre… Le tracé du circuit est d’ailleurs peu reconnaissable. Enfin, Le Mans 66 n’a pas la qualité visuelle d’un Rush, pour citer un autre film récent sur la compétition automobile.
Alors, faut-il aller voir Le Mans 66 ? Oui, bien sûr, ne serait-ce que pour honorer la mémoire de Ken Miles, ou pour saluer l’un des trop rares films sur la course auto. Et puis peut-être aussi pour ce moment où Le Mans 66 nous touche en plein cœur, lorsque Carroll Shelby, rongé par la culpabilité, vient rendre une visite (qui n’en est pas vraiment une) à la veuve de Ken Miles, tué accidentellement quelques semaines plus tôt au volant d’un prototype de GT40. L’épouse lui adresse un petit salut de la main, comme une absolution. Shelby démarre alors sa tonitruante Cobra et s’en va vers l’horizon californien, comme un cow-boy solitaire. En une scène, tout est pardonné.
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