Au fait, c’est quoi une « vraie Saab » ?
Saab connaît les heures les plus sombres de son histoire. Comme à chaque crise qu’elle traverse, on se repose l’éternelle question : pourquoi Saab a trébuché ? À cette sempiternelle interrogation, les Saabistes de la première heure répondront tout de go : « parce que les modèles actuels n’ont rien à voir avec les vraies Saab d’antan ! » D’accord, mais qu’entend-t-on par là ? Quelles sont ces « vraies Saab » ? Quel lien unissait l’originale mais rudimentaire 92 à la bourgeoise et nerveuse 99 Turbo ? La modeste 96 à moteur deux temps à la flambeuse 900 Turbo Cabriolet ? Pas grand-chose. Et c’est sans doute le cœur du problème.
J’ai eu l’occasion de conduire quelques Saab, de toutes époques : de la 92 à la toute dernière 9-5, en passant par une 99 Turbo et une 9-3 Turbo Cabriolet (la version restylée des 900 de l’ère General Motors, sur base de Vectra). S’il existe un lien entre tous ces modèles, il est remarquablement ténu. Ces Saab se distinguent toutes par un style original, légèrement décalé mais sans ostentation. À part les ancêtres 92 et 96, elles affichent un niveau de performance plutôt élevé, et même très élevé pour l’époque dans le cas de la 99 Turbo. Elles ne négligent pas les aspects pratiques : les 900/9-3 ont toujours eu un coffre spacieux, tandis que le cabriolet a toujours été utilisable en toutes saisons. Leur sécurité passive a toujours été un point fort. Enfin, le châssis a suivi la règle chère à Saab : un comportement routier sain et prévisible, avec une tendance au sous-virage à la limite… et accessoirement un train avant à la motricité médiocre. En résumé, une Saab est un subtil mélange d’originalité de bon ton et d’austérité nordique.
Ce cocktail délicat semble insuffisant pour conférer à la marque une vraie personnalité à même de résister aux affres du temps. Si l’on prend d’autres exemples, il est beaucoup plus facile de dégager une filiation commune aux différentes générations de BMW, de Mercedes ou d’Alfa Romeo, chaque modèle partageant un faisceau de qualités (et défauts) propres qui l’inscrivait dans une véritable lignée. On ne peut en dire autant de Saab, ce qui explique probablement une image de marque un peu floue : ni franchement sportive, ni vraiment bourgeoise.
Une image que General Motors a par ailleurs contribuer à sérieusement diluer. Il est intéressant d’ailleurs de faire le parallèle avec la politique suivie par Ford pour Volvo. Cette marque a été rapidement incorporée au riche portefeuille de marques haut de gamme que le groupe américain possédait avant la crise (Aston Martin, Land Rover, Jaguar). Volvo a ainsi pu bénéficier de synergies importantes et d’investissements technologiques sérieux : moteurs 5 et 6 cylindres spécifiques, transmission intégrale, équipements de confort et de sécurité… Une politique qui a permis à la marque de Göteborg de conserver son rang, voire de « chiper » des clients à Saab !
A l’inverse, General Motors s’est contenté concevoir des Saab à partir de plate-formes Opel déjà loin de faire référence, en les « habillant » d’une jolie carrosserie et d’un intérieur original. Dès lors, la valeur ajoutée des Saab n’a fait que s’amenuiser au fil des années. La toute dernière 9-5 en est l’illustration : c’est incontestablement une belle auto, mais elle n’est pas au niveau de prestations des rivales allemandes (Audi A6, BMW Série 5, Mercedes Classe E), malgré des tarifs très proches, et n’offre pas une expérience de conduite radicalement différente. La fragile « magie » semble bel et bien rompue.
Et alors que Saab accumule des impayés à hauteur de plusieurs millions de couronnes, on voit mal quel miracle pourrait encore sauver la marque cette fois-ci. 🙁
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