Perle rare : Studebaker Avanti
Ultime production d’une marque automobile exsangue, l’incroyablement moderne Studebaker Avanti est le résultat de la collaboration d’un patron ultra-créatif et d’un designer visionnaire, le légendaire Raymond Loewy. Destiné à rivaliser avec la Chevrolet Corvette, ce coupé sportif aux lignes hors du commun ne suffira pas à sauver Studebaker du désastre. Au total, moins de 6 000 exemplaires seront produits en à peine deux ans.
À l’orée des années soixante, Studebaker est un grand groupe industriel aux opérations diversifiées (tracteurs, défense, aérien…), qui puise ses racines dans la production automobile à la toute fin du XIXe siècle, après avoir fabriqué dès 1868 les chariots bâchés grâce auxquels les pionniers conquirent l’Ouest américain. Mais la division auto se porte mal : isolé sur le plan industriel, Studebaker ne bénéficie pas des économies d’échelle de ses grands rivaux Chrysler, Ford ou General Motors. Ses comptes sont dans le rouge.
En février 1961, un nouveau président prend les rênes de la marque : il s’appelle Sherwood Egbert et a de grandes ambitions pour Studebaker. Il veut rajeunir la gamme et donner à la firme une image de modernité. La légende veut qu’Egbert ait griffonné les lignes de l’Avanti dans un avion, à peine plus d’un mois après avoir pris les commandes de Studebaker. Après avoir atterri, Egbert contacte le designer le plus en vogue de son temps : Raymond Loewy.
Né en France en 1893, Raymond Loewy a effectué l’essentiel de sa carrière aux États-Unis. L’un des pères fondateurs du design industriel moderne, Loewy avait l’habitude de dire que « la laideur se vend mal ». Il dessina des objets aussi variés que des grille-pains, des locomotives, des paquets de cigarettes ou des immeubles (mais pas la célèbre bouteille de Coca-Cola, qu’on lui a attribué à tort!).
La consigne d’Egbert à Loewy est simple : dessiner une auto « de Grand Tourisme d’allure futuriste ». Le designer assemble alors dans sa villa de Palm Springs une équipe resserrée qui travaille d’arrache-pied pendant une semaine, à l’issue de laquelle une première maquette au 1:8 est réalisée. Seulement un mois plus tard, en avril 1961, une maquette en taille réelle est présentée à Sherwood Egbert, qui approuve le projet.
L’auto ne ressemble à rien de ce qui existe alors. Dans une Amérique qui sort tout juste du délire des chromes et ailerons XXL à gogo, l’Avanti a quelque chose de rafraîchissant. Ses lignes sont épurées, avec une calandre obturée, un capot orné d’une simple nervure centrale, de discrets pontons à l’avant, une taille de guêpe et un arrière fuyant. À sa présentation au salon de New-York en avril 1962 (un an seulement après la première maquette à l’échelle 1 !), la Studebaker Avanti remporte un franc succès.
Sur le plan technique, l’Avanti n’est pas très éloignée de sa grande rivale, la Chevrolet Corvette. Elle dispose également d’une carrosserie en fibre de verre (poids : 1 400 kilos) et adopte un V8 de 4,7 litres revendiquant 240 chevaux. Trois kits permettent d’augmenter cette puissance : le R-2 ajoute un compresseur, le R-3 porte la cylindrée à 4,9 litres et le R-4 offre carrément deux compresseurs. L’Avanti propose par ailleurs des freins avant à disque, une première pour une américaine. Pour démontrer ses performances, la Studebaker bat 29 records de vitesse à Bonneville, dont celui de la vitesse maxi pour une américaine de série, à plus de 270 km/h.
Le succès est au rendez-vous, et les concessionnaires croulent sous les commandes… mais la production ne suit pas : Studebaker a sous-évalué la demande. La fabrication de la carrosserie est sous-traitée à un fournisseur de l’Ohio qui livre également les pièces des Chevrolet Corvette et ne parvient pas à suivre le rythme. En décembre 1962, Studebaker décide enfin de prendre une partie de la fabrication des pièces de carrosserie à sa charge… mais trop tard : excédés par les interminables délais de livraison, de nombreux clients ont tout simplement annulé leur commande.
Le 20 décembre 1963, Studebaker se retire du marché et ferme sa seule usine automobile, située à South Bend, dans l’Indiana. Ce jour-là, il ne reste plus que cinq Avanti dans les stocks. Au total, moins de 5 800 Avanti auront été produites en 1962 et 1963 : une goutte d’eau face aux 23 000 Corvette commercialisées pour la seule année 1963 !
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