« La voiture électrique, c’est pour quand ? »
C’est le lot de tout journaliste automobile. Lors des dîners entre amis, ou au détour d’une conversation, la remarque finit toujours par surgir. « Tiens, au fait, toi qui es du métier, qu’est-ce qu’il faut acheter comme voiture en ce moment ? » Comme si cette question avait un sens ! Imaginez un bibliothécaire à qui l’on demanderait : « Tiens, au fait, toi qui es du métier, qu’est-ce qu’il faut lire comme livre en ce moment ? » Heu, ben, ça dépend, t’aimes lire quoi ? Des romans d’aventure, des bluettes à l’eau de rose, des récits historiques, de la science-fiction…?
Bref, à cette épineuse question, je réplique toujours par une salve d’autres questions : neuf ou occasion ? essence ou diesel ? pour la ville ou pour la route ? pour une famille ou pour un célibataire ? etc… Car s’il y a un tel embarras du choix aujourd’hui sur le marché automobile, c’est bien parce que l’époque où tout le monde achetait la même voiture (« In any colour, as long as it’s black », comme disait Henry Ford), cette époque là est bien révolue.
Depuis quelques temps, cependant, la sempiternelle interrogation digestive a changé. Désormais, on me demande plutôt : « Tiens, au fait, toi qui es du métier, quand est-ce qu’on va enfin pouvoir s’acheter une voiture électrique ? J’en ai marre de payer mon plein d’essence une fortune ! » S’ensuivent généralement des considérations peu amènes sur le lobby pétrolier, les taxes, etc. Lorsqu’au final j’arrive à en glisser une, mon message est souvent mal compris.
En effet, contrairement à ce que les médias généralistes – et donc forcément simplificateurs à l’extrême – vous racontent, la voiture électrique n’est pas l’avenir de l’automobile. Elle n’en est que l’un des éléments. Et pour trois raisons essentielles :
- Les batteries. Quoi qu’on en dise, l’essence c’est formidable : en trois minutes, on stocke dans son réservoir quelques dizaines de litres de ce précieux liquide, ce qui suffit pour effectuer 600 à 1000 kilomètres d’une traite. Avec les batteries, c’est moins simple. Il faut en embarquer quelques centaines de kilos pour espérer parcourir… une centaine de kilomètres. Et une fois qu’elles sont vides, il faut les recharger : comptez de 3 à 8 heures. En outre, les batteries sont horriblement chères : un simple accumulateur d’ordinateur portable coûte déjà 150 €, or il faut l’équivalent de 1000 batteries de portable pour propulser une voiture électrique. Je vous laisse faire le calcul !
- La production de l’électricité. La voiture électrique, c’est du « zéro émission »… lors de son utilisation. Mais l’électricité, elle, ne tombe pas du ciel… enfin, parfois oui, mais on n’a pas encore réussi à emmagasiner l’énergie de la foudre ! Il faut donc des centrales électriques pour la produire. Au charbon, au gaz, au pétrole (énergies non renouvelables et productrices de CO2) ou bien nucléaires (non renouvelable également, mais avec des émissions de CO2 beaucoup plus faibles). On l’a vu ces jours-ci avec la catastrophe de Fukushima au Japon, aucune source d’électricité actuelle n’est parfaite. Seul espoir pour une production d’électricité vraiment « propre » : la fusion nucléaire. C’est la piste suivie par le projet Iter. Mais il se passera quelques décennies avant de passer d’une technologie de laboratoire à une production de masse…
- Le moteur thermique n’a pas dit son dernier mot ! Beau de Rochas a eu beau l’inventer voici presque un siècle et demi, le moteur à quatre temps a encore des marges de progression : réduction de la cylindrée à puissance équivalente (le fameux « downsizing »), augmentation des taux de compression, dosage de plus en plus fin de la quantité de carburant, systèmes hybrides… Qu’un gros 4X4 comme le Range Rover_e n’affiche que 89 g/km de CO2 est en soi la preuve que le « bon vieux » moteur thermique n’est pas mort !
Bref, le parc automobile de demain sera partagé entre voitures thermiques, électriques, hybrides, ou hybrides rechargeables. À chaque usage correspondra son mode de propulsion, comme on choisit aujourd’hui entre une essence et un diesel, entre une citadine et un monospace. Encore plus l’embarras du choix, quoi. Mes dîners n’ont pas fini d’être animés…
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