Radars : le règne de l’improvisation
C’était il y a huit ans, autant dire une éternité pour nos hommes politiques à la vue basse. En cette lointaine époque, donc, Nicolas Sarkozy n’était encore que Ministre de l’intérieur. Le 27 octobre 2003, le premier flic de France se rend sur le bord de la Nationale 20, en banlieue parisienne, pour inaugurer la nouvelle arme absolue en matière de sécurité routière : le tout premier radar automatique ! Sarkozy est alors formel : « Ce n’est pas un piège. L’objectif n’est pas de piéger les usagers. (…) Il s’agit bien d’un dispositif de sécurité routière. » Las ! Aujourd’hui, c’est un virage à 180 degrés qu’opère le pouvoir : adieu les panneaux signalant les radars fixes ! Au passage, les avertisseurs de radars, « incitation à enfreindre les règles », sont également bannis. François Fillon a sifflé hier la fin de la récréation et a profité du dernier Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) pour redonner un tour de vis ! Mais au fait, nos routes vont-elles devenir plus sûres pour autant ? Voici quelques raisons de douter…
Allez dans n’importe quel café de notre beau pays et lancez les habitués sur le sujet de la sécurité routière, vous constaterez vite que cela passionne nos concitoyens. L’un aura tôt fait de stigmatiser tel ou tel comportement (en général celui des autres catégories de conducteurs, qu’ils soient motards, poids-lourds, jeunes, vieux, hommes, femmes, etc.), tandis que l’autre proposera telle ou telle réforme « que c’est tellement du bon sens qu’on se demande pourquoi c’est pas déjà fait ma bonne dame ! ». Les Français se considèrent volontiers comme des experts en matière de sécurité routière.
Lorsque l’un de ces quidam accède, au gré des hasards de la vie, aux plus hautes fonctions, ne croyez surtout pas qu’il en profite pour s’entourer de vrais experts de la question : à quoi bon, puisqu’il en est un lui-même ? La preuve, depuis dix ans, la mortalité routière connaît une constante décrue, comme le montre le graphique ci-dessous. Démonstration indiscutable du succès des politiques répressives successives ? Plus têtue que les belles théories, la réalité résiste à ce genre de simplifications.
Si l’on analyse un peu plus en détail, on note surtout que le virage sécuritaire amorcé en 2002, année où Jacques Chirac a désigné la sécurité routière comme grande cause nationale, a juste permis de rattraper notre retard sur l’Allemagne, cette lointaine contrée où de parfaits inconscients roulent à tombeau ouvert sur des autoroutes non limitées. La décrue est par ailleurs similaire dans les autres pays européens. Je ne suis pas en train d’écrire que la politique de répression a été inutile (ce serait faire injure à tous ceux qui ont perdu un proche dans un accident de la route), mais juste que son impact réel reste difficile à distinguer des nombreux facteurs externes.
Prenez l’évolution du parc automobile. Si tout le monde est conscient qu’une voiture moderne est nettement plus sûre qu’une bonne vieille 2CV en cas d’accident, peu de gens réalisent que les progrès majeurs en matière de sécurité passive datent seulement de la fin des années 90. Les premiers crash-tests Euro NCAP, plus sévères que les tests d’homologation, ont lieu en 1997. La Rover 100, resucée de l’antique Austin Metro, s’y prend une « tôle » mémorable (désolé pour le très mauvais jeu de mots !) :
Cette image fera le tour du monde et la Rover 100 sera aussitôt retirée du marché. Les constructeurs comprennent alors que la sécurité passive est devenue un argument commercial. Ils décuplent les budgets qui y sont consacrés, et les progrès d’une génération à la suivante sont manifestes : la Citroën Saxo (score Euro NCAP : 2 étoiles et 13 points) est remplacée par la première Citroën C3 (4 étoiles et 28 points) ; la Peugeot 306 (3 étoiles et 18 points) par la Peugeot 307 (4 étoiles et 30 points) ; à la première Renault Laguna (2,5 étoiles et 17 points) succède la Renault Laguna II (record pour l’époque : 5 étoiles et 33 points). En quelques années, la sécurité passive des voitures neuves a progressé de façon fulgurante.
Vous allez sans doute me rétorquer qu’en toute logique, la mortalité routière aurait du chuter de façon aussi brutale. C’est oublier que le parc automobile français (environ 33 millions de voitures) ne se renouvelle qu’au rythme de 2 millions d’unités par an. Pour que l’ensemble du parc soit remplacé par des voitures plus récentes et plus sûres, il faut donc en théorie une quinzaine d’années. Le bénéfice sécurité des nouveaux modèles a mis du temps à se diffuser en masse.
Mais revenons à l’actualité, et à nos dirigeants « experts » en sécurité routière. L’ire du gouvernement envers ces automobilistes « irresponsables » est née des mauvais chiffres de mortalité du premier trimestre. Et l’on sait quelle importance notre Président attache aux chiffres. Après des mois de décrue, le nombre de tués sur les routes françaises n’a cessé d’augmenter depuis le début de l’année : +12,8% par rapport à 2010.
Mais une valeur brute livrée hors contexte ne sert à rien. En l’occurrence, l’année 2010 est peu représentative en matière d’accidentologie : au premier trimestre, marqué par des épisodes de froid répétés (avec de la neige dans le sud du pays jusqu’à la mi-mars !), le trafic routier a été notablement réduit et/ou ralenti. Au final, 2010 reste d’ailleurs la meilleure année jamais vue en matière de sécurité routière en France, avec moins de 4 000 tués sur les routes (3 994 exactement). À l’inverse, le début de l’année 2011 est marqué par un beau temps et une remarquable douceur propices aux départs en week-ends ou en balade. Or, quand le trafic augmente, le nombre d’accidents suit la même tendance.
Face à ce constat déjà bancal, que proposent ces « experts » qui nous gouvernent ?
- renforcer la répression des excès de vitesse supérieurs à 50 km/h, qui représentent… 0,07% des infractions (chiffre fourni par la Sécurité Routière pour le 3e quadrimestre 2010)
- interdire les avertisseurs de radars, une mesure qui paraît difficilement applicable, d’autant que certains systèmes de navigation intégrés aux véhicules offrent déjà cette fonctionnalité.
- supprimer des panneaux annonçant les radars fixes, qui ont pourtant été installés afin d’inciter les conducteurs à justement lever le pied dans des zones accidentogènes.
- déployer 1 000 radars supplémentaires, même si le système de contrôle-sanction automatisé (CSA) commence à montrer ses limites. Nos gouvernants s’inspirent sans doute de ce célèbre adage des Shadoks : « plus ça rate, plus ça a de chances de réussir » !
Pas un mot sur les lacunes flagrantes de la formation initiale des conducteurs, sur lesquels je reviendrai dans un prochain billet (rappelons que plus d’une victime de la route sur cinq a entre 18 et 24 ans). À part l’obligation de porter des des gilets réfléchissants (et pourquoi pas un gyrophare sur la tête ?), rien non plus pour les motards (un tué sur cinq également). Quant à la lutte contre l’alcool au volant, elle est carrément passée à la trappe ! De récents et tragiques accidents ont pourtant rappelé combien cet axe devrait être considéré comme prioritaire (j’en ai parlé ici).
Bref, encore une fois, il s’agit là d’une pure opération de com’, qui ne parvient d’ailleurs à convaincre ni les associations d’automobilistes (constamment tenues à l’écart des débats), ni même les associations de victimes de la route. Combien de temps cette mascarade durera-t-elle ?
PS : je vous invite à lire, sur le même thème, un billet qui m’a fait bien rire : Sécurité routière : le tout-répressif, ça commence à bien faire ! de Salomé 30310 sur LePost.fr.
3 commentaires