Auto-architecture : le Lingotto
J’inaugure ici une nouvelle série de billets dédiée aux bâtiments, ouvrages d’art et autres infrastructures que l’homme a créé pour constituer ce que l’on nomme généralement la « civilisation de l’automobile ». Ce premier volet est consacré au Lingotto de Turin, probablement la plus étonnante usine de construction automobile jamais construite !
En 1910, Henry Ford conçoit à Highland Park, près de Detroit, la première usine moderne, où le modèle T est fabriqué à la chaîne à partir de 1913, selon les principes chers à Frederick Taylor. En rationalisant la production, les équipes américaines ont réussi à réduire le temps de fabrication d’une auto de plus de 12 heures à seulement 93 minutes : les Ford T sortent ainsi au rythme d’une toutes les trois minutes. Du jamais vu !
Cette révolution industrielle ne laisse personne indifférent. Après avoir visité l’usine Ford, André Citroën est le premier à introduire en Europe le concept de la production en série avec la Type A, construite à Javel dès 1919. En Italie, Gianni Agnelli lance en 1916 le grand chantier d’une usine d’un genre nouveau, inspirée par celle de Highland Park, mais encore plus moderne.
La construction débute en 1916 et durera au total sept ans. Agnelli a recruté les meilleurs talents : l’architecte Giacomo Matte-Trucco et l’ingénieur Ugo Gobbato, spécialisé dans les méthodes de production modernes. Le premier conçoit un bâtiment tout en longueur, entièrement réalisé en béton armé, aux façades percées de larges fenêtres. Doté de cinq étages, le Lingotto est surmonté d’une piste ovale. Le second met au point une logistique de production originale : les matières premières entrent par le bas de l’immeuble, et les voitures finies ressortent par le haut… où elles sont testées sur la piste ovale, dont les virages relevés peuvent être pris à 90 km/h.
Salué par Le Corbusier comme l’une des plus impressionnantes réalisations en matière d’architecture industrielle, le Lingotto se perfectionnera au fil des années, notamment avec les très belles rampes d’accès situées aux deux extrémités, qui permettaient d’accéder directement du rez de chaussée à la piste ovale sur le toit. De nombreux modèles emblématiques seront produits dans cette usine, dont les Balilla et Topolino, jusqu’à la Lancia Delta, ultime auto fabriquée au Lingotto. En 1982, l’usine ferme et sa production est délocalisée dans les autres sites de production du groupe.
Avec la fermeture du Lingotto, c’est toute la ville de Turin qui tousse et voit l’un des symboles de son industrie disparaître. Mais les Turinois ne veulent pas voir détruit ce qu’ils considèrent comme un emblème du patrimoine local. Fiat lance alors une vaste consultation internationale pour déterminer l’avenir du site. Cependant, aucun des vingts projets proposés par les plus grands architectes du monde ne parvient à faire l’unanimité du jury. En 1985, Fiat décide finalement de confier la rénovation du Lingotto à Renzo Piano, co-créateur du Centre Pompidou à Paris.
Piano réorganise les vastes espaces du Lingotto, en y insérant un vaste centre commercial, un cinéma, un centre de congrès, une salle de concerts et même un hôtel de luxe. Le site s’enrichit d’années en années d’additions parfois spectaculaires, comme « la Bolla », une impressionnante salle de réunion panoramique jouxtant un héliport, ou encore la pinacothèque Giovanni et Marella Agnelli, sorte de coffre au trésor situé lui aussi sur le toit de l’édifice. Ce « nouveau » Lingotto est le prototype d’une réhabilitation industrielle réussie.
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