La voiture mondiale : une chimère ?
La voiture mondiale, tous les constructeurs en rêvent. Pensez donc : un modèle unique se vendant comme des petits pains sur les cinq continents, c’est autant de temps et d’argent économisés en design, conception, mise au point et industrialisation. Certains constructeurs y croient dur comme fer, malgré de nombreux contre-exemples dans le passé. À l’heure de la personnalisation à outrance, alors que nous sommes passés de la voiture pour tous à une voiture pour chacun, l’auto mondiale a-t-elle encore une chance d’exister ?
La phrase d’Henry Ford est devenue légendaire : « Le client peut avoir sa voiture peinte dans n’importe quelle couleur… à condition que ce soit le noir », avait-il lancé à ses collaborateurs à propos du modèle T en 1909. À l’époque, être propriétaire d’une automobile était encore un luxe réservé à une élite. Dix ans plus tard, la Ford T représentait la moitié du parc américain ! Le développement du marché passait alors par une standardisation extrême, gage d’une production simplifiée, de coûts réduits et d’un prix d’achat accessible.
Au fil des années, cependant, la concurrence s’est amplifiée et les constructeurs ont souhaité développer leur offre afin de séduire une clientèle de plus en plus exigeante. Multiplication des carrosseries, élargissement des gammes de motorisations, finitions toujours plus nombreuses… l’offre est aujourd’hui pléthorique. Certains modèles poussent même jusqu’à offrir des possibilités de personnalisation esthétique, recette qui fait le succès des Mini, Fiat 500 ou encore Citroën DS3.
Avec la diversification de l’offre s’est également développée sa sectorisation géographique. Les mêmes marques n’offrent pas les mêmes modèles en France, aux États-Unis, au Japon ou en Chine. Les constructeurs tentent ainsi de s’adapter aux goûts des clients, qui varient plus ou moins subtilement suivant les continents.
Mais certains stratèges persistent à vouloir inventer la voiture mondiale, ce plus petit dénominateur commun automobile qui serait à même de (bien) se vendre à Berlin comme à Pékin, à Los Angeles comme à Argelès. Clin d’oeil de l’histoire, c’est Alan Mulally, l’actuel patron de Ford, qui veut revenir aux fondamentaux chers à Henry Ford. Cet ancien de Boeing veut appliquer à l’auto les préceptes de l’industrie aéronautique, au motif qu’un long-courrier comme le 777 est vendu sous la même forme en Amérique, en Europe ou en Asie. Alors pourquoi pas une Ford Focus, une Fiesta ou un Kuga/Escape ?
C’est oublier un peu vite qu’un produit comme le Boeing 777 s’adresse pour l’essentiel à une clientèle de compagnies aériennes, qui évaluent un produit selon des critères très terre-à-terre, comme le coût au kilomètre par passager, la facilité de maintenance, les nécessités de formation des équipages et techniciens, ou encore la valeur de revente future de l’appareil. En clair : on choisit l’avion qui offre le meilleur compromis entre le service rendu et le coût d’exploitation.
En revanche, lorsqu’il recherche sa future auto, Monsieur Jean Dupont ou Mister John Doe, n’a pas une horde de comptables pour faire ce genre de simulation. D’ailleurs, cet acheteur lambda s’en fiche un peu : il fera souvent son choix sur des critères peu rationnels (comme le style), sur l’image de marque, sur l’adéquation du produit à ses besoins personnels. L’acheteur français se moquera de la puissance moteur mais regardera de près la consommation. Le client américain aura lui la démarche quasiment inverse. L’automobiliste japonais est friand de technologies frisant avec le gadget, tandis que l’allemand privilégiera la performance et la fiabilité. Clichés et stéréotypes ? Certes, mais ils dessinent à gros traits un profil bien contrasté du « client mondial », à la manière de ces portraits-robots qui ressemblent à tout le monde et à personne à la fois.
Ainsi, donc, Ford prend de nouveau le risque d’uniformiser son offre au niveau mondial. Dans les années 90, cela avait moyennement réussi : la première Mondeo avait été vendue aux États-Unis sous les noms de Ford Contour et Mercury Mystique. Si les Européens avaient bien accroché, les Américains ont eux trouvé cette auto trop petite… et l’ont boudé. L’actuelle Focus, vendue des deux côtés de l’Atlantique, rencontre un succès plutôt mitigé là bas : elle n’a pas réussi à déloger les Honda Civic ou Hyundai Elantra du top 10 des ventes. Enfin, avec le nouveau Kuga, Ford parie gros en remplaçant aux États-Unis un Escape au succès insolent vu son âge canonique (plus de 200 000 ventes en 2011, un record en… 11 ans de carrière !). Le nouveau modèle, au physique européanisé, séduira-t-il la clientèle accoutumée au précédent modèle à l’allure très classique ?
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