Réhabilitons Louis Renault !
Il est parfois des coïncidences étranges. Ainsi, alors que France 3 s’apprête à diffuser un documentaire sur Louis Renault et André Citroën (ce mercredi 14 à 20h35), on apprend que les descendants Renault veulent demander réparation à l’État pour la nationalisation de la firme automobile en 1945. N’y voyez surtout pas une lubie d’héritiers cupides : la mémoire d’un des plus grands industriels et inventeurs du siècle dernier a été souillée par de basses manœuvres politiques et une insatiable soif de revanche à la Libération. Cette même époque où, pour des motifs « d’épuration » (quel terme sordide !), on tondait les femmes soupçonnées de « collaboration horizontale » et où tant d’innocents ont été envoyés au peloton d’exécution à la suite de procès expéditifs. Il est grand temps de briser le funeste mythe du « Renault collabo » et de réhabiliter l’homme dans sa vérité.
Encore aujourd’hui, la communication officielle de Renault sur le sujet de la période de l’Occupation semble verrouillée. En témoigne la page dédiée à l’historique du groupe, sur le site du constructeur : « Pendant la seconde guerre mondiale, Louis Renault considère le conflit avec l’Allemagne comme une erreur : il se plie aux exigences des Allemands ». Se plier aux exigences de l’Occupant : en quels termes ces choses-là sont dites ! Louis Renault aurait « plié » devant les Nazis, comme le roseau sous la tempête. Pourtant, tel le chêne de La Fontaine, Louis Renault ne ressortira pas vivant de la tourmente.
Dès le début de l’occupation, son état de santé se dégrade : aphasique à 63 ans, il a toutes les peines du monde à communiquer avec son entourage, qui le considère alors avec commisération. François Lehideux, son ambitieux neveu par alliance aux proximités coupables avec le régime de Vichy (il sera décoré de la Francisque), directeur général de Renault depuis 1934, fait rouvrir les usines de Billancourt alors même que Louis Renault n’est pas encore rentré d’une mission officielle aux États-Unis. Lehideux se rêve calife à la place du calife et se dit qu’il a une carte à jouer. Dans le même temps, L’Humanité du 24 juillet 1940 appelle les ouvriers « à prendre tout de suite les mesures nécessaires pour faire fonctionner les entreprises en désignant un comité de direction ». Pendant que le chat n’est pas là, les souris dansent !
Louis Renault, collaborateur zélé ? Si, dès le 5 juillet 1940, Édouard Michelin prend contact avec les autorités d’occupation pour pouvoir s’approvisionner en cotons filés nécessaires au redémarrage de la production de pneus, Renault se refuse à toute reprise de l’activité sans avis explicite du gouvernement de Vichy. Convoqué à plusieurs reprises par l’Occupant, l’industriel reste ferme, refusant de réparer les chars français endommagés durant l’invasion. Le 2 août, son rival Paul Panhard abdique devant l’ultimatum allemand. Isolé, Renault finira par céder à son tour. Mais le constructeur et ses collaborateurs y vont à reculons : durant le conflit, Renault ne livrera pas plus de véhicules aux Nazis que Citroën (environ 32 900)… malgré une main d’œuvre deux fois plus importante.
Brillant inventeur, mécanicien hors pair, industriel animé d’une vision, Louis Renault jouit hélas d’un bien piètre sens politique. Il s’indigne ainsi des bombardements alliés : « En attaquant les usines françaises, en massacrant la population ouvrière de ces usines, les Anglais […] s’attaquent à la volonté de vivre de la France », écrit-il dans un pamphlet rédigé en 1942. Il lance rapidement la reconstruction des usines endommagées, ce qui passe pour du zèle envers l’Occupant, alors qu’il s’agit de maintenir l’outil industriel pour l’inévitable après-guerre. Il s’abstient de soutenir la Résistance, au contraire de Peugeot, qui apporte son concours aux Maquis… à la onzième heure (à partir de novembre 1943). Il préfère se replier sur lui-même, déléguant la gestion quotidienne des usines et ruminant son mépris pour l’Occupant et le gouvernement de Vichy.
À la libération, le Parti Communiste Français en tirera autant d’arguments pour régler ses comptes avec cet emblème du patronat français. Le 23 septembre 1944, Louis Renault est incarcéré à la prisons de Fresnes, où il est brutalisé par les matons recrutés chez les FTP. Son état de santé se dégrade brusquement : il est transféré à l’hôpital le 16 octobre. Il y mourra huit jours plus tard. À peine trois mois après, Renault est nationalisée et son fondateur est l’objet d’un kafkaïen procès posthume.
Comme des milliers d’autres français durant l’Épuration, Louis Renault a été victime d’une terrible injustice. Dépossédé de son grand œuvre, diffamé, brutalisé et finalement sacrifié sur l’autel de la raison d’État et d’intérêts particuliers bien compris, Renault, érigé en symbole, a payé pour les autres. Mais il n’est jamais trop tard pour réparer une injustice et laver l’honneur d’un homme. Ses héritiers ne demandent rien d’autre, et leur combat mérite notre respect.
Pour en savoir plus sur la vie de Louis Renault, je vous recommande le site LouisRenault.com, ainsi que la biographie signée Laurent Dingli parue chez Flammarion, dont sont tirées toutes les citations de ce billet.
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