Nouveau malus : la France se tire une balle dans le pied
Le débat sur le Projet de loi de Finances 2013 (PLF 2013) fait actuellement rage au parlement. Mais pas seulement : j’ai ainsi eu récemment un tweetclash débat avec ma chère consœur de Challenges Héloïse Bolle au sujet du projet de malus que contient ce PLF 2013. Comme vous l’avez sans doute lu ici ou là, le gouvernement veut donner un sérieux tour de vis au barème, qui rendrait le malus assez indigeste au-delà de 155 g/km (1 500 €) et carrément dissuasif à plus de 200 g/km (6 000 € !). Accessoirement, les pénalités s’appliqueraient désormais dès 135 g/km, contre 140 g/km jusqu’à présent. Pour Héloïse, rien de plus normal, et les constructeurs et autres automobilistes sont mauvais joueurs à pester contre le malus écologique, alors qu’à l’inverse ils réclament des aides pour promouvoir les voitures vertes, aides qu’il faut bien financer. Pourquoi pas ? Sauf que ce continuel tripatouillage fiscal risque bien d’être contre-productif…
Les présidents changent, les (mauvaises) habitudes restent. J’en parlais déjà l’an dernier à propos de Nicolas Sarkozy et des radars, mais je suis bien forcé d’y revenir avec François Hollande et le bonus/malus écologique : amateurisme, improvisation et vue à court terme sont hélas également répandus sur l’échiquier politique… Mais revenons-en aux faits.
Ce n’est un secret pour personne, suite à la gestion calamiteuse de tous les gouvernants s’étant succédés au cours des 30 dernières années, l’État est endetté comme jamais. Il faut donc trouver de l’argent partout afin de tenter de renflouer les caisses. L’automobile, habituelle poule aux œufs d’or de Bercy, est donc mise à contribution. Mais attention, c’est pour la bonne cause : il s’agit de punir ces sales pollueurs qui achètent de grosses voitures qui tuent les ours polaires.
Alors on sort la grosse artillerie, et on… double (au minimum) tous les malus à partir de 146 g/km de CO2 ! Je vous laisse le soin d’admirer le désastre sur le tableau ci-contre (emprunté aux confrères du Blog Auto). Bien sûr, il s’agit là de la proposition gouvernementale, les élus Europe Écologie les Verts (EELV) du parlement trouvant ce barème encore trop gentil. La surenchère est un moyen comme un autre d’exister politiquement…
C’est vrai, d’un autre côté les bonus ont augmenté généreusement en août sur certains modèles très précis, passant ainsi de 5 000 à 7 000 € pour la tranche « moins de 21 g/km » (en clair : les véhicules électriques) et de 2 000 à 4 000 € pour les hybrides (dans la limite de 10 % du prix du véhicule). C’est très aimable pour PSA qui peine à vendre ses hybrides diesel, mais l’effort reste modeste : sur les 9 premiers mois de l’année, 17 498 véhicules hybrides ont été vendus en France, soit… 1,22 % du marché.
Bref, la carotte est maigre, mais le coup de bâton, plutôt copieux. Rappelons au passage que le barème ne prend en compte que les émissions de CO2, passant sous silence les « vrais » polluants locaux que sont les nanoparticules et autres oxydes d’azote (NOx), dont la nocivité est désormais reconnue par l’OMS. Ces polluants sont pourtant mesurés à l’homologation au même titre que le CO2, mais curieusement aucun de nos valeureux énarques pourfendeurs des pollueurs n’a pensé à les prendre en compte. Auraient-ils des camarades de promotion travaillant chez l’un des leaders européens des motorisations diesel ? Je n’ose y penser…!
Derrière tout ça, il y a surtout l’obsession de ramener le dispositif du bonus/malus à l’équilibre, alors qu’il a toujours été déficitaire. Une question épineuse qui tracassait déjà l’ancien gouvernement, et qui apparaît légitime en ces temps de rigueur budgétaire qui ne dit pas son nom.
Reste que cet éternel tripatouillage fiscal est une véritable plaie pour l’industrie automobile. En effet, contrairement à ce que pensent certains écologistes, l’objectif des constructeurs n’est pas de polluer la planète, mais d’offrir des produits compétitifs, répondant aux désirs de la clientèle, et respectant un cadre réglementaire et fiscal.
Le dit cadre a beaucoup changé au cours des 5 dernières années, avec l’émergence de normes strictes en matière d’émissions de CO2, et cela va continuer à l’avenir, l’Union Européenne ayant fixé un objectif de 95 g/km en 2020. Certes, cela fait rechigner certains constructeurs, mais l’UE a eu le bon sens de donner un cap sur le long terme, ce qui laisse le temps à l’industrie automobile de faire les travaux de recherche et développement nécessaires.
À l’inverse, le barème du bonus/malus écologique français n’a cessé de changer d’une année sur l’autre, avec des revirements parfois pénibles pour la filière automobile, comme l’abandon en rase campagne de toute subvention des véhicules GPL. Le problème, c’est que l’industrie automobile est comme un super-tanker : il lui faut du temps pour changer de cap. Entre le début de la conception d’un nouveau modèle et sa commercialisation effective, il s’écoule au minimum quatre ans. Si les règles changent en cours de route, badaboum, c’est perdu !
En outre, ce durcissement du malus n’arrange pas vraiment l’industrie automobile française. Car, à part des hybrides à la part de marché anecdotique, la plupart des modèles haut de gamme tricolores seront touchés par le malus, parfois sévèrement. Manque de pot : ce sont justement ces modèles-là qui sont encore produits en France, à Sochaux, Rennes ou Sandouville, car ils sont suffisamment générateurs de marges pour être assemblés par de la main-d’œuvre française… à l’inverse des petites citadines diesel bonussées, très souvent produites en Slovénie, en République Tchèque ou ailleurs.
De leur côté, les constructeurs allemands ne seront guère bousculés par cette mesure : détenteurs d’une forte avance technologique, ils ont déjà des modèles haut de gamme revendiquant des émissions de CO2 très faibles. Gageons qu’avec ce malus confiscatoire, ils gagneront encore du terrain sur les marques françaises…
Bref, avec ce nouveau barème, la France tire une balle dans le pied de ses constructeurs. Hélas, le temps politique n’est pas le temps de l’industrie. Avec ses échéances électorales très proches, la France s’est faite spécialiste des revirements permanents – et économiquement meurtriers – en matière de fiscalité.
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