J’ai fêté les 45 ans de la Citroën Méhari
Le 16 mai 1968, la Sorbonne est occupée, tout comme une cinquantaine d’usines, dont celle de Billancourt, où Jean-Paul Sartre ira bientôt haranguer les ouvriers de la Régie Renault. Dans une semaine, près de neuf millions de Français seront en grève. Dans ce contexte pour le moins agité, un groupe d’irréductibles journalistes automobiles est invité par Citroën à Deauville pour essayer un drôle d’engin, la « Dyane 6 Méhari ». Quarante-cinq ans plus tard, la Méhari est devenue une icône de ces années agitées, au même titre que le Combi VW ou la Renault 4. Un anniversaire dignement fêté par Citroën, qui m’a laissé pour l’occasion le volant d’un exemplaire. Petites et grande histoire, essai et impressions.
Le 16 mai 2013, soit 45 ans jour pour jour après la présentation de la Méhari, me voici au C_42, l’impressionnant showroom Citroën des Champs-Élysées. Dans cet environnement à la fois épuré et opulent, la modeste voiture de plage devrait avoir l’air ridicule. Et pourtant, sa simplicité apparaît étonnamment moderne. Et sa couleur jaune de bonbon acidulé la rend irrésistible !
Il faut dire que la Méhari est née dans l’esprit d’un visionnaire : un certain Roland de La Poype, le pionnier français du plastique ! Ce touche-à-tout (brillant pilote de chasse du groupe Normandie-Niemen, il fondera en 1970 le célèbre Marineland d’Antibes) comprend dès l’après-guerre le succès que peuvent avoir les objets en plastique, et fonde un véritable empire industriel autour de ce matériau. Il approche Citroën pour leur proposer une collaboration. Le constructeur lui prête une oreille attentive, d’autant que tous deux sentent que le monde évolue : ces Trente Glorieuses voient émerger la civilisation des loisirs, avec le succès du Club Méditerranée, le développement des voyages et des vacances en bord de mer.
D’où l’idée de développer sur la base des Dyane une auto découvrable, légère, dotée d’une carrosserie en plastique ABS, pouvant être facilement nettoyée à grande eau et capable de s’aventurer dans les chemins. Une voiture à même de séduire la famille aisée en vacances, la clientèle jeune amatrice de loisirs de plein air, mais aussi les artisans et commerçants.
La voiture est donc présentée le 16 mai 1968. Citroën n’a pas ménagé ses effets : la marque invite les journalistes à Deauville, où les voitures à l’essai sont « mises en valeur » par d’accortes demoiselles parfois court-vêtues. Pour autant, ce lancement passera totalement inaperçu, et pour cause : le soir même, la grève générale est décrétée, empêchant les journaux de paraître les jours suivants ! Mais la Méhari s’en relèvera : elle sera produite à 143 740 exemplaires jusqu’en 1987, chiffre auquel il convient d’ajouter 1 213 unités de la rare version 4X4, lancée en 1979.
Mais assez parlé : un bel exemplaire bleu et blanc – la série spéciale Azur, produite à 700 exemplaires en 1983 – m’attend devant le C_42 ! Hélas, la météo est capricieuse, et je devrai vite oublier mes fantasmes tropéziens : pas question de retirer la capote, opération trop longue pour être risquée par un temps aussi changeant.
L’accessibilité n’est pas idéale avec la capote en place. Je dois glisser mon mètre 85 entre le seuil de portière assez haut et le volant de grand diamètre, en évitant d’accrocher le levier de vitesses au passage. Une fois enfin installé, je me retrouve devant une instrumentation des plus simples : compteur de vitesse gradué jusqu’à 140 (optimiste : la Méhari n’excède pas les 106 km/h), une jauge à essence et… c’est tout. À ma droite, le levier de vitesses surgit de la planche de bord, orné d’une boule en bakélite. Devant mon mollet, la canne du frein à main. Au pied de la colonne de direction, les trois pédales très rapprochées.
Genoux de part et d’autre du volant, pieds presque joints pour actionner les pédales, dos voûté pour y voir quelque chose à travers le pare-brise très bas, je me fais l’effet d’une grenouille assise sur une boîte de camembert. Une position de conduite peu orthodoxe qui ne facilite pas la prise en main : j’ai du mal à trouver la première, qui se situe, de façon inhabituelle, en bas à gauche, soit… à l’endroit précis où se trouve ma cuisse ! Après une contorsion supplémentaire, me voici enfin parti !
Premier constat, le modeste bicylindre de 602 cm3 se révèle plutôt vaillant. Il n’offre pourtant que 29 petits chevaux, mais la boîte courte et le poids-plume (525 kilos à vide !) donnent une impression de vivacité. La commande de boîte se révèle finalement plutôt bien guidée, même si chaque retour à la première m’impose d’écraser mon genou contre la jante du volant. Un volant décidément énorme, actionnant une direction très démultipliée car, bien évidemment, dépourvue d’assistance. Tout comme les freins, « à l’ancienne », qui réclament un minimum d’anticipation.
Avec la Méhari, on retrouve donc des sensations de conduite « sans filtre » : le bruit du moteur et l’exposition aux éléments décuplent la sensation de vitesse, à tel point qu’à 50 km/h, on a l’impression d’être sur le point de s’envoler ! Similaires à celles de la 2CV, les suspensions indépendantes à ressorts horizontaux tolèrent un roulis qui apparaît aujourd’hui surréaliste, mais qui autorise une étonnante efficacité. Légère, bien campée sur des roues étroites rejetées aux quatre coins, la Méhari a des attitudes de ballerine et saura passer partout. C’est tellement vrai qu’elle servit même de véhicule d’assistance médicale sur le Paris-Dakar 1980 !
La demi-heure qui m’est allouée à son volant passe hélas trop vite, et je rêve de retenter l’expérience sous des cieux plus cléments, histoire de goûter au plaisir de la Méhari… sans capote. En attendant, je médite sur sa délicieuse et intemporelle simplicité. À l’heure où le « low-cost » fait fureur, la Méhari mériterait une héritière. Officiellement, ce n’est pas à l’ordre du jour. Mais souvenez-vous : au salon de Paris en 2010, Citroën présentait un concept-car pompeusement baptisé « Lacoste », mais qui lorgnait clairement du côté de la glorieuse Méhari… Alors, chiche ?
Allez, pour finir je vous invite à regarder cette amusante vidéo, où un journaliste belge tente l’ascension du Mont Ventoux au volant d’une Méhari… un peu fatiguée !
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