Perle rare : Ford GT40
C’était le pari fou de Ford : que cette marque, populaire par excellence, mette un terme à l’écrasante hégémonie de Ferrari aux 24 Heures du Mans, vainqueur de six éditions consécutives depuis 1960. Une coopération inédite entre des équipes américaine et anglaise débouchera sur l’une des plus fabuleuses voitures de sport du XXe siècle, auréolées de quatre victoires au Mans, dont un formidable triplé en 1966. Mais le chemin vers la réussite aura été long et tortueux…
L’aventure de la GT40 commence en juin 1962, lorsque Henry Ford II, le petit-fils du fondateur, annonce le retour de la marque en compétition. Ford entre d’abord en négociations avec Ferrari, qui se dit favorable à céder la maison au géant américain… avant de se rétracter. Dès lors, la firme de Dearborn se résout à se lancer seule dans l’aventure de la compétition, avec un objectif principal : remporter les 24 Heures du Mans.
C’est la réponse du berger à la bergère : repoussé par Ferrari, Ford décide de riposter sur le terrain de prédilection de la firme au Cavallino. À cette époque, la ligne droite des Hunaudières résonne du son des V12 Ferrari, qui offrent à l’ombrageux Enzo la victoire en 1958, 1960, 1961 et 1962. C’est alors qu’un groupe d’ingénieurs et de stylistes Ford se mettent à travailler sur un nouveau modèle capable de remettre en cause la suprématie italienne sur l’épreuve mancelle.
L’architecture à moteur central est très vite préférée, ayant fait ses preuves en Formule 1. Les études préliminaires révèlent que tous les composants essentiels peuvent tenir dans une auto au gabarit compact : 3,96 m de long, 2,41 m d’empattement… et 102 cm de hauteur, soit 40 pouces. Cette dernière caractéristique donne son nom au projet.
L’aérodynamique est étudiée en soufflerie à l’Université du Maryland. Côté mécanique, les ingénieurs font dans le classique : le moteur V8 4,2 litres est doté d’un carter sec mais dépourvu d’arbres à cames en tête, et est associé à une boîte 4 rapports non synchronisés. L’ensemble développe 350 chevaux. Pour le châssis, l’acier est préféré à d’autres matériaux pour des questions de timing. Seules les portes seront en fibre de verre. Dans l’habitacle, les sièges sont fixes et le pédalier réglable. Cette configuration permet d’installer l’instrumentation et les commandes autour du pilote pour une meilleure ergonomie.
En septembre 1963, le projet est transféré en Angleterre, chez Lola. La première Ford GT40 Mk.I est prête le 1er avril 1964, la deuxième, dix jours plus tard. Le planning est ultra-serré, puisque la séance de test des 24 Heures du Mans est prévue le… 16 avril ! Le temps est pourri des deux côtés de la Manche, transformant la phase d’essais en calvaire. L’une des voitures est détruite par une sortie de route à 250 km/h aux Hunaudières, l’autre essuyant une collision. Les deux pilotes sont sains et saufs, mais l’ambiance est plombée.
Le crash étant du à une instabilité à haute vitesse, l’auto reçoit en hâte un spoiler arrière et court au Nurburgring fin mai, avec une deuxième place aux qualifications mais un abandon sur casse de suspension au bout de deux heures et demie. Cette course met aussi en évidence quelques fragilités de la coque. L’équipe Ford revoit sa copie, et débarque aux 24 Heures 1964 avec trois voitures… qui sont contraintes à l’abandon. Les qualifications (2e, 4e et 9e place) et un record du tour prouvent que la vitesse est bien au rendez-vous, mais pas encore la fiabilité.
À l’automne 1964, le développement de l’auto est rapatrié à Dearborn. La fiabilité progresse, les performances sont correctes, mais Ford préfère miser sur la GT40 Mk.II, mise en chantier durant l’hiver. Elle adopte un gros V8 de 7 litres, plus puissant, et une nouvelle boîte. Cette fois encore, l’équipe est à la traîne : la première auto n’est prête qu’en avril 1965, et Ford devra faire l’impasse sur le week-end d’essais du Mans. Pire : la deuxième voiture arrivera au Mans sans avoir jamais roulé ! Ce qui ne l’empêchera pas d’établir un nouveau record de la piste lors des essais libres (3’33 »). Les deux GT40 Mk.II doivent cependant jeter l’éponge après respectivement deux et sept heures de course.
Après deux participations aux 24 Heures sans amener une seule voiture à l’arrivée, Ford décide de mettre les bouchées doubles en préparation de l’édition 1966. Les ingénieurs testent l’auto sur circuit à Daytona, Sebring et Riverside, mais passent également le moteur au banc d’essai afin de simuler des conditions de course réelles. La voiture bénéficie de nombreuses modifications, tant aérodynamiques que mécaniques, si bien qu’elle est identifiée en tant que Mk.II-A pour la distinguer des précédents modèles. Lors de leurs premières sorties, aux 24 Heures de Daytona en février 1966 et aux 12 Heures de Sebring quelques semaines plus tard, ces GT40 dominent la course de bout en bout, assurant à chaque fois un triplé à l’arrivée. Pour sa première course européenne à Spa, la GT40 Mk.II-A termine seconde, sur les talons d’une Ferrari 330P3. Enzo commence à s’inquiéter…
Aux 24 Heures du Mans 1966, son pire cauchemar devient réalité : les Ferrari se retrouvent opposées à une véritable meute de Ford. On compte en effet pas moins de… treize GT40 au départ, dont huit Mk.II d’usine ! La firme américaine a mis le paquet, loge ses pilotes dans un charmant château voisin (avec piscine), et Henry Ford II lui-même a fait le déplacement pour donner le départ de la course. Dès les qualifications, le ton est donné : très rapides, les Ford s’arrogent les quatre premières places sur la grille.
Le duel tant attendu tournera court. La P3 de Rodriguez et Scarfiotti tient la tête pendant quelques temps, avant d’être prise dans un carambolage. Vers 1 h 45 du matin, l’ultime P3 jette l’éponge sur un problème de boîte : les Ferrari auront été incapables de tenir le rythme imposé par les Ford. Atteignant les 325 km/h au bout des Hunaudières, les Mk.II écrasent leurs rivales à la distance : les deux voitures de tête boucleront 360 tours en 24 Heures, contre 339 pour la première Porsche 906. Henry Ford II veut un finish de haut vol, il l’aura, avec les Mk.II numéro 1 et 2 franchissant la ligne d’arrivée de concert. Au final, c’est l’équipage McLaren/Amon qui est déclaré vainqueur par l’ACO. En effet, leur Ford numéro 2 ayant pris le départ derrière la numéro 1 de Ken Miles et Denis Hulme, elle aura parcouru… une vingtaine de mètres de plus ! (Ci-dessous le résumé d’époque de la course).
Les Ford GT40 remporteront trois autres victoires au Mans, jusqu’en 1969 où Jacky Ickx gagnera d’un cheveu (120 mètres !) devant la Porsche 908 de Hans Herrmann. Outre les modèles de piste, une cinquantaine de GT40 seront également produites à destination d’une clientèle triée sur le volet. Une rareté qui alimentera par ailleurs – et continue d’alimenter – un important business de répliques. Les quelques vraies GT40 s’échangent contre plusieurs millions d’euros.
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