Droit dans le mur : Renault Avantime
Dix ans déjà ! C’est en 2001 que Renault lançait son Avantime, exemplaire encore unique à ce jour de « coupé-monospace ». Le concept inattendu, le style dérangeant et une qualité de fabrication médiocre ont cependant tué dans l’œuf ce modèle, qui ne fut produit qu’à 8 557 exemplaires pendant ses deux courtes années de carrière. Un échec commercial cuisant qui, couplé à celui de la Vel Satis, a scellé le destin des Renault de haut de gamme.
À la fin des années 90, Renault réfléchit au remplacement de la vieillissante Safrane. Une berline au bilan en demi-teinte : même si elle s’est vendue à plus de 300 000 exemplaires, elle reste loin du score établi par sa devancière, la Renault 25, qui s’est écoulée à près de 800 000 unités. La montée en puissance des trois constructeurs « premium » (Audi, BMW et Mercedes) incite alors PDG Louis Schweitzer et le patron du design Patrick Le Quément à jouer la carte de l’anticonformisme.
Il faut rappeler que Le Quément est alors à l’apogée de son influence : chaque concept-car Renault est attendu avec impatience par le public comme par les concurrents. Tous ne font pas l’unanimité, mais les observateurs saluent le caractère visionnaire des créations du Design Industriel Renault. Schweitzer et Le Quément décident de remplacer la Safrane par deux modèles : une berline et un coupé-monospace, ou plutôt un « coupéspace », comme on l’appelle vite en interne. Deux concept-cars viennent présenter les thèmes de design de ces deux modèles : le Vel Satis à Paris en 1998 (le salon du centenaire pour Renault), et l’Avantime à Genève quelques mois plus tard.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le style des deux concept-cars est en rupture totale avec celui de la gamme contemporaine, très classique (encore composée des Mégane, Laguna et Scénic de première génération). Au risque de dérouter la clientèle, Renault a bien l’intention de franchir le pas de la production en série, au moins du prototype Avantime, très réaliste.
L’Avantime fait par ailleurs figure de lot de consolation pour Matra, qui doit perdre en 2002 la production de l’Espace, transférée dans l’usine Renault de Sandouville. Les prévisions de vente de l’Avantime sont loin d’égaler celles de l’Espace, mais Matra espère occuper son usine de Romorantin avec la chimérique M72.
Reste que la mise au point de l’Avantime prend plus de temps que prévu. Les prototypes présentent des problèmes structurels, causant l’éclatement de leur toit vitré sur chaussées dégradées. Les sièges à enrouleurs de ceinture intégrés sont lourds et difficiles à rabattre. L’Avantime n’est finalement présentée à la presse qu’en juin 2001, à peu près en même temps que la Vel Satis, ce qui contribue à entretenir la confusion dans l’esprit de la clientèle.
Basée sur la plate-forme de l’Espace III, l’Avantime est pourtant plutôt séduisante. Sa carrosserie bicolore lui confère de l’allure, les ingénieuses portières à double articulation facilitent l’accès à bord, la vision panoramique est excellente, et le bouton « Grand Air » permet d’ouvrir vitres et toit ouvrant en un tournemain. Plutôt typé confort, le comportement reste efficace et s’accorde bien avec le doux V6 3 litres partagé avec Peugeot et Citroën.
Mais à 36 200 € en prix de base (40 800 € pour la finition Privilège), la rare clientèle séduite par les lignes de l’auto peine à gober la qualité de finition médiocre. Le reste du public potentiel reste peu attiré par cet engin décidément trop bizarre, et préfère s’orienter vers l’offre naissante des 4X4 de loisir haut de gamme, comme le Mercedes Classe M (lancé en 1998) et le BMW X5 (commercialisé en 2000).
Avec le recul, c’est sans doute la plus lourde erreur de Renault dans le haut de gamme : avoir pensé qu’il y avait une place pour des monospaces « de luxe ». L’histoire a montré qu’au contraire, le monospace allait devenir un bien de consommation courante, et que la clientèle aisée allait chercher un moyen de se différencier avec des 4X4 aux (vagues) relents d’aventure. Du coup, cette publicité d’époque pour l’Avantime avec Jean-Paul Gaultier apparaît quelque peu datée…
En 2003, Renault jette l’éponge. Le 26 février, Matra annonce la fermeture de l’usine de Romorantin. La filiale du groupe Lagardère n’a pas su anticiper la baisse d’activité et encore moins le potentiel échec de l’Avantime. Le projet M72 est lui-même resté à l’état… de projet. Coïncidence, Jean-Luc Lagardère décède brutalement le 14 mars. Un mois et demi plus tard, l’usine Matra baisse le rideau : une page de l’histoire automobile française est tournée.
4 commentaires