La minute cinéphile : Trafic
À la fin des années 60 et au début des années 70, le réseau routier explose et l’automobile devient un outil incontournable du quotidien. Le cinéma reflète cette évolution, avec l’avènement d’un nouveau genre : le road movie. En quelques années sortent des films portés par une nouvelle génération de réalisateurs : Week-end (Jean-Luc Godard, 1967), Easy Rider (Dennis Hopper, 1969), Point limite zéro (Richard Sarafian, 1971), Duel (Steven Spielberg, 1971)… En 1971 également, Jacques Tati s’essaye au road movie, mais avec un style radicalement différent. Cela donnera Trafic, son avant-dernier long métrage.
Cinéaste peu prolixe (seulement 6 films en trente ans de carrière), Tati cultive un style à part, hérité de ses années de music-hall. Il développe un comique fondé sur le visuel et les bruitages, où les dialogues sont secondaires. Qu’il soit facteur dans Jour de fête ou Monsieur Hulot dans Mon Oncle et Playtime, Jacques Tati promène sa grande carcasse dégingandée dans une société qui tente – heureusement en vain ! – de le déshumaniser. Gaffeur touchant, gentleman irrésistible et démolisseur du politiquement correct malgré lui, Monsieur Hulot est un ballon d’oxygène.
Bien évidemment, Tati ne pouvait rester indifférent à l’émergence de la société de l’automobile. Totalement absente de Jour de fête (1949), elle fait sa (pétaradante) apparition dans Les vacances de Monsieur Hulot (1953). Dans Mon Oncle (1958), elle est le symbole de l’ascension sociale du beau-frère de Hulot, le boursouflé (à tous les sens du terme !) Monsieur Arpel. Dans Playtime (1967), la voiture est partout, souvent immobile dans d’immenses parkings, parfois emportée dans le tourbillon d’un rond-point aux allures de manège enchanté. Chez Tati, l’auto va crescendo.
Il était donc logique que l’artiste finisse par lui consacrer un film à part entière : ce sera Trafic. Une coproduction franco-hollandaise, réalisée avec un budget de téléfilm par un Tati qui a toutes les peines du monde à se remettre de l’échec commercial du tentaculaire Playtime. On y retrouve Hulot en dessinateur chez un carrossier parisien, à qui l’on confie la périlleuse mission de délivrer le dernier prototype à temps pour le salon d’Amsterdam. Bien évidemment, le trajet sera émaillé de nombreux incidents, pannes… ou accidents.
Comme dans cette scène surréaliste, où Maria sème la panique à un paisible carrefour de Hollande avec sa Siata Spring 850. S’ensuit un incroyable et désordonné ballet de Citroën ID, DAF 33, Mini Countryman et autres Volkswagen. Tout l’humour et la poésie de Jacques Tati sont là.
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